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Bali

Marie-Laure de Decker

L’île indonésienne de Bali est célèbre pour avoir su préserver la tradition théâtrale de sa musique et de ses danses. Appartenant au quotidien des balinais, ces spectacles, qui s’apparentent d’ailleurs davantage à un rituel ou à une cérémonie, sont accompagnés par les gamelans (orchestres de percussions ou de gongs) et racontent des récits mythologiques.

Parmi ces danses, le lelong est certainement la danse la plus traditionnelle. Interprétée par de très jeunes filles parées de somptueux costumes dorés et coiffées d’exquises fleurs, cette danse exprime la quintessence de la féminité et de la grâce. Accompagnée de la musique jouée par les orchestres de gamelan, le lelong, que les petites filles de Bali apprennent dès l’âge de 5 ans, obéit à des règles très strictes imposant des gestes précis, des mouvements du visage, des mains et des doigts parfaitement codifiés et exigeant une dextérité prodigieuse.
La plus traditionnelle des danses est le legong kraton, ici photographiée, ainsi dénommée parce qu’autrefois elle était jouée dans les palais en présence des princes. Rituellement, trois danseuses y participent : deux danseuses au costume identique (comme c’est le cas sur cette image) incarnent des personnages de rang royal, et la condong, la suivante de la cour, qui ouvre le spectacle en dansant en solo. Le lelong est la retranscription en danse d’un conte qui se déroule dans la Java du XII° siècle – selon lequel un roi, dénommé Lasem, fait la rencontre d’une jeune fille –  une Rangkesari – qui s’est perdue dans la forêt. Lasem, tombant sous le charme la jeune fille, lui fait la cour  – mais celle-ci refuse ses avances. Le roi emmène la jeune fille de force et l’enferme dans sa demeure. Or il s’avère que la demoiselle est la fiancée du prince Kahuripan, lequel, ayant appris les mésaventures de Rangkesari, somme le roi Lasem de libérer la jeune fille. Mais le roi refuse de rentre la liberté à sa prisonnière et convoque son concurrent pour se battre en duel. En cours de route, le roi rencontre un oiseau qui lui prédit sa mort prochaine. A l’issue du duel, la prédiction s’accomplit et le roi Lasem meurt au cours de l’affrontement.

Laissons à Antonin Artaud, passionné des danses de Bali, le mot de la fin :
Le spectacle du théâtre Balinais qui tient de la danse, du chant, de la pantomime, – et un peu du théâtre tel que nous l’entendons ici – restitue, suivant des procédés d’une efficacité éprouvée et sans doute millénaires, à sa destination primitive le théâtre qu’il nous présente comme une combinaison de tous ces éléments fondus ensemble sous l’angle de l’hallucination et de la peur. (…) En somme les Balinais réalisent, avec la plus extrême rigueur, l’idée du théâtre pur, où tout, conception comme réalisation, ne vaut, n’a d’existence que par son degré d’objectivation sur la scène. (…)
Les Balinais, qui ont des gestes et une variété de mimiques pour toutes les circonstances de la vie, redonnent à la convention théâtrale son prix supérieur, ils nous démontrent l’efficacité et la valeur supérieurement agissante d’un certain nombre de conventions bien apprises et surtout magistralement appliquées. (…)
Ce théâtre purement populaire et non sacré, nous donne une idée extraordinaire du niveau intellectuel d’un peuple qui prend pour fondement de ses réjouissances civiques les luttes d’une âme en proie aux larves et aux fantômes de l’au-delà.
(octobre 1931)